Tilman Reichert, enseignant et responsable du projet archi-folies à l’ensa•marseille, partage son retour d’expérience sur ce projet inédit lancé par le ministère de la Culture dans les 20 ENSA : la construction d’un pavillon pour une fédération sportive : “une folie” exposée au parc de la Villette à partir du 14 juin lors des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Marseille accueillant les épreuves de voiles, le pavillon de la Fédération Française de Voile a été confié à l’ensa•marseille.
Quelle a été l’approche de l’ensa•marseille pour s’approprier cette commande ?
Nous avons voulu un projet mené par les étudiants de la conception à la réalisation, afin de les sensibiliser à la nécessité d’une organisation dans les conditions du réel, avec comme parti pris pédagogique de mener l’atelier en autogestion. Ainsi, nous avons parfois été confrontés à des obstacles et des questionnements, mais nous avons toujours su rebondir pour avancer concrètement, en maintenant l’esprit collectif du projet.
Comment s’est passé le partenariat avec la FFV ?
Le cahier des charges a été établi avec la Fédération Française de Voile : un pavillon facilement démontable et transportable pour pouvoir l’utiliser ensuite sur des manifestations sportives emblématiques. Nous nous sommes immergés dès le premier semestre dans l’univers nautique.
Ce pavillon est le résultat de nos ressources intellectuelles, techniques et matérielles. Une grande partie du pavillon est fait de réemploi de matériaux glanés sur le port : nous avons récupéré un vieux bateau, son mat, ses accastillages et ses cordages. La Fédération a été un partenaire très présent sur toutes les phases du projet et nous avons eu la chance d’être accompagnés dans la partie réalisation par un maitre voilier de Delta voile qui a beaucoup apporté techniquement aux étudiants grâce à son rapport très intuitif à l’ingénierie.
Le réemploi des matériaux est au cœur du projet, comment s’est organisée cette démarche ?
Elle s’est naturellement imposée quand nous avons découvert l’univers nautique. Nous avons mené une réflexion très poussée sur ses déchets pour en faire des matériaux de construction certifié par le bureau de contrôle ! La phase conception est partie de ce que nous avions récupéré. Mais on s’est aussi heurté à plusieurs limites : beaucoup de matériaux de réemploi sont introuvables car trop spécifiques et la ressource n’est pas assez organisée. On a aussi eu des problèmes juridiques ou financiers. Une remorque de bateau est conçue pour un certain usage et il n’est pas possible de changer sur la carte grise du véhicule la structure de l’objet. Autre exemple : l’école ne pouvait pas acheter de remorque de seconde main, car elle est soumise aux marchés publics.
Pouvez-vous nous présenter l’évolution du travail des étudiants au cours de ces 4 semestre ?
Le vrai challenge a été d’animer un travail continu et structuré dans le temps sur 2 ans. Le rythme de l’école est quelque peu différent. Nous avons pu sur les deux derniers semestres garder une certaine continuité dans le groupe d’étudiants mais nous avons subi une perte de dynamique au début du 2eme semestre du au renouvellement complet de l’équipe des étudiants
Au premier semestre, on a adopté une approche type de projet architectural classique, puis on a étudié les projets avec des dessins et des maquettes, et on s’est posé des questions collectivement : comment passer à la réalisation ? C’est au troisième semestre qu’on est entré dans la phase d’immersion nécessaire pour savoir si concrètement le projet pouvait se faire ou pas. Avec une semaine intensive consacrée à la réalisation de maquettes, d’abord à l’échelle 1/20éme puis à l’échelle ½, les étudiants ont pu expérimenter et se sensibiliser à la question du faire, avec l’appui très important d’un maître voilier.
C’est là que nous avons passé un cap : de la maquette au projet conçu, nous sommes allés vers la conception par la maquette ! Un exercice particulièrement complexe pour les étudiants et les enseignant !
Comment s’est déroulée la phase de fabrication ?
Début mai 2024, l’installation du chantier à Paris a confirmé la vraie dynamique de groupe enclenchée avec les travaux de fabrication en mars et avril où chacun a développé une implication accrue. J’en profite pour remercier les équipes du ministère de la Culture qui ont imaginé et porté ce projet depuis le mariage des ENSA avec les fédérations sportives jusqu’à la prise en charge de tous les étudiants en phase chantier !
Chacun a trouvé sa place et les journées au parc de la Villette ont été un vecteur très important de cohésion et d’enseignement. C’est là aussi que l’on a pu se rendre compte que tout ce qui n’était pas étudié en conception prenait 3 fois plus de temps à la fin ! Heureusement, l’école a permis de constituer des équipes de secours qui ont pu repartir à Paris pour finaliser la construction !
Que retenez-vous de cette expérience inédite ?
C’est une expérience édifiante qui permet la compréhension de tout le processus de conception jusqu’à la construction, c’est très valorisant pour les étudiants. On y voit l’importance de la maquette et du dessin qui permettent de réduire les incertitudes. Tout ce parcours permet de faire ce chemin et d’appréhender cette pratique du faire avec l’accompagnement d’artisans : c’est très formateur ! La phase de fabrication intègre une partie technique et c’est là que les apports d’enseignants ingénieurs nous ont beaucoup aidé ainsi que la participation active des étudiants en double-cursus. Cet enseignement nécessite une curiosité naturelle des étudiants, une maitrise des outils et une connaissance des matériaux qui a surement vocation à se développer avec le nouvel atelier maquette au sein de l’école.
Coté enseignants, cette expérience nous a mis à l’épreuve sur la façon d’enseigner l’architecture et questionne le format des études d’architecture !
Retour d’expérience des étudiants
« Ce qui est sûr c’est que cette expérience aura été très enrichissante, malgré son lot de complications. Je pense que l’on peut dire que la finalité de ce projet, c’est-à-dire réaliser un pavillon et le monter à Paris est une réussite… J’ai eu l’occasion de manipuler outils, matières, la conception par le faire, c’était nouveau et intéressant pour moi. C’était extrêmement intéressant d’être confronté à un bureau de contrôle et plutôt inédit dans le parcours scolaire que l’on peut suivre normalement ici. Dans un second temps j’ai aussi dû porter une casquette plus « organisationnelle ». J’ai contacté des entreprises, chercher des ressources, fait appel à nos partenaires. Dans le temps imparti et avec les enjeux/aléas auxquelles nous avons été confrontés je peux affirmer être fière du pavillon que l’on a fait, de la quantité de travail abattu et des valeurs que portent ce projet. …Merci pour cette aventure »
Lou Ammirati
« Au cours de ces deux derniers semestres, ma participation aux Archi-Folies aura été une expérience marquante et riche en enseignements. Mon implication individuelle dans ce projet a été intense et variée, couvrant un large éventail de compétences et de responsabilités. Avec passion, je me suis investi corps et âme dans chaque aspect du projet. Débutant par de l’analyse des précédents projets, j’ai ensuite été amené à faire des présentations, des montages, des expériences, des calculs de structure, des négociations en tout genre, des devis, de la conception, du design de pièces, de la scénographie, des maquettes numériques et physiques, du suivi de chantier. Revêtant parfois une casquette de formateur, j’ai pris part à toutes les étapes, renforçant mon engagement et ma détermination, de la préparation du workshop à l’installation sur le parc de La Villette.
Mon expérience la plus marquante sera surement la cohésion de groupe qui s’est installée à Paris, notamment lors du second voyage. Tous unis face à ce challenge, regardant dans la même direction. Plus besoin de se parler, une connexion s’était créée. Chacun était autonome, savait ce dont son coéquipier avait besoin avant même qu’il en ait conscience. Ereinté, nous gardions le rythme jusqu’au dernier instant, mettant tout notre corps, notre cœur, notre âme et nos tripes pour terminer cette entreprise. Cela restera sans nul doute un souvenir immuable. »
Sylvain Fuillerat
« L’architecture telle qu’on la conçoit à l’école est souvent trop éloignée de la réalité de la construction. Cet exercice s’est concentré là où pêchent les études en architecture d’habitude : le chantier. C’est en participant au chantier qu’on se rend compte que ce n’est pas la finalité d’un projet, mais bel et bien là que tout commence !
Ça a également été une aventure enrichissante grâce à la pluralité des domaines étudiés : la menuiserie, la ferronnerie, le monde de la voile, etc. Avec leurs vocabulaires et leurs techniques. Enrichissante aussi avec la multitude d’intervenants, avec des intérêts divergents, que l’on chercher à faire converger autour de notre projet.
J’ai pris un grand plaisir à participer à ce projet, à le voir évoluer, à participer. Avoir le sentiment de vraiment contribué à la conception et la construction d’un projet réel est pour moi le plus gratifiant. Et c’est d’autant plus vrai que l’encadrement que nous avons eu promulguai l’autonomie et les initiatives. De cette façon le projet nous appartenait vraiment. Le revers de la médaille d’un tel encadrement des étudiants qui doivent travailler en autonomie ne convient pas à tout le monde et nécessite une très bonne communication. »
Chloé Etevenaux
« Voilà un semestre atypique qui prend fin. Depuis février, je suis passé par tous les états, de l’excitation à la frustration, pour finir avec un sentiment d’épanouissement !
J’ai eu l’occasion durant ce semestre de faire partie de l’équipe gréement, une expérience qui a considérablement enrichi ma culture technique. Pour la première fois en cinq ans, j’ai réussi à établir un lien solide entre mes études d’architecture et d’ingénierie.
Un autre point qui m’a énormément plu durant ce semestre est que j’ai appris en commettant des erreurs. Chaque erreur a été une opportunité d’apprentissage et de perfectionnement. J’ai pris conscience de l’importance du plan, qui dans l’équipe gréement est arrivé relativement tard. Cette expérience a été enrichissante sur le plan humain. J’ai fait de très belles rencontres et formé un groupe fort et solidaire. Les relations établies et l’esprit d’équipe ont été essentiels au succès du projet. À contrario, j’ai eu durant le semestre des moments de doute et de frustration. …J’aurais voulu avoir plus de temps pour ce projet parce que je reste convaincu que nous pouvons encore le pousser plus loin. Finalement, pour finir sur une bonne note, la force de ce studio reste le clap final ! En effet, un des moments les plus satisfaisants a été de voir le projet se réaliser. Le lancement des casques a été un moment particulièrement joyeux, symbolisant la concrétisation de notre travail collectif. »
Bilel Hassine